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Ce policy brief a été rédigé en collaboration avec Rosa Luxemburg Stiftung et OSAE

Résumé exécutif:

Ce policy brief examine les normes techniques qui régissent la production et la commercialisation des semences agricoles, en portant une attention particulière sur leur impact sur les semences paysannes. Nous démontrons que ces normes favorisent les semences commerciales et hybrides au détriment des semences paysannes. Nous proposons de nouveaux critères d’évaluation et d’enregistrement des semences agricoles qui favorisent la préservation et l’utilisation des semences paysannes pour s’adapter au changement climatique et protéger les droits des petits agriculteurs.

Contexte général et introduction:

La question de la souveraineté sur les ressources naturelles en Afrique, notamment la terre, l’eau, les semences, les minéraux et les sources d’énergie renouvelables, est devenue un sujet de préoccupation majeur. Ce phénomène est particulièrement visible dans le domaine de l’agriculture, où des gouvernements, des firmes transnationales, des agences de développement cherchent à moderniser l’agriculture africaine tout en privant les petits agriculteurs de leur contrôle sur les moyens de production. Cela entraîne par la suite une accaparation des ressources du pays.

La modernisation du secteur agricole est passée, entre autres, par les semences, étant un des facteurs les plus importants de la production. En effet, les semences qui s’échangeait simplement entre les agriculteurs doivent maintenant passer par par l’inscription dans un catalogue officiel pour leur commercialisation selon les directives de l’ UPOV (Union internationale pour la protection des obtentions végétales) qui travaille avec ses États membres pour promouvoir l’adoption et la mise en œuvre de ses conventions sur les obtentions végétales, l’introduction de droits de propriété intellectuelle sur les variétés végétales et la criminalisation des agriculteurs qui ne les respectent pas. Tout cela vise à transformer des ressources autrefois communes en des éléments contrôlables et profitables pour les grandes entreprises. Les lois africaines se sont adaptées à cette vision de l’UPOV  au risque de marginaliser les pratiques traditionnelles et les petits agriculteurs, et de favoriser l’industrie agroalimentaire.

En Tunisie, la production et la commercialisation des semences sont réglementées par des normes techniques qui sont souvent favorables aux grandes entreprises qui produisent des semences commerciales et hybrides suivant la loi n°99-42 du 10 mai 1999[1]. Ces normes sont souvent inadaptées aux semences paysannes et contribuent à leur marginalisation. En effet, les normes actuelles, telles que la Valeur Agronomique, Technologique et Environnementale (VATE) et la Distinctivité, Homogénéité et Stabilité (DHS), sont conçues pour favoriser les semences hybrides et commerciales à haute productivité, qui sont souvent coûteuses et inadaptées aux conditions locales. Etant plus adaptées aux conditions locales, les semences paysannes peuvent contribuer à la sécurité alimentaire et à la souveraineté des petits agriculteurs. Mais, la diversité génétique qu’elles contiennent et qui représente une ressource précieuse pour la résilience des systèmes agricoles, est menacée par la standardisation et la marchandisation des semences.

Certes, les deux types de semences, paysannes et commerciales, ont leurs avantages et leurs inconvénients respectifs. Les semences hybrides et commerciales étant considérées comme plus productives et uniformes, répondant ainsi aux exigences des grandes exploitations agricoles et de l’industrie alimentaire, sont pourtant plus vulnérables aux aléas climatiques et épidémiques. Elles nécessitent aussi plus de ressources et d’intrants.

D’un autre côté, les semences paysannes peuvent être mieux adaptées aux conditions locales et au changement climatique, et avoir une valeur culturelle et patrimoniale pour les communautés locales. Néanmoins, elles sont moins uniformes et moins productives, ce qui les rend non adaptées à une agriculture mécanisée et peut limiter leur utilisation à un petite échelle. 

Ainsi, il est essentiel de trouver un juste équilibre entre les deux types de semences et de promouvoir des normes techniques qui tiennent compte des avantages et des inconvénients de chacun, tout en assurant la préservation et la reconnaissance des semences paysannes et en respectant les droits des petits agriculteurs.

Exclusion des semences paysannes au profit des semences commerciales:

Historique de la promotion/commercialisation des semences commerciales au détriment des semences paysannes 

Au cours des dernières décennies, la Tunisie s’est orientée vers la libéralisation de son économie, notamment dans le secteur agricole, sous l’impulsion des politiques imposées par la Banque Mondiale et le FMI. En 1986, la Tunisie signe le Plan d’Ajustement Structurel, qui entraîne la mise en place d’un programme d’ajustement structurel de l’agriculture pour encourager les investissements dans le secteur. Cela a conduit à l’introduction progressive de semences hybrides importées, suite à la libéralisation de l’importation des intrants agricoles[2].

Parallèlement, l’histoire de l’Union internationale pour la Protection des Obtentions Végétales (UPOV) révèle une constante extension des droits des entreprises semencières, aux dépens des droits  des agriculteurs et des paysans. À l’origine, la Convention UPOV n’autorise la privatisation que des variétés développées par la personne/société ayant déposé la demande, et ne prévoyait aucune sanction. Cependant, après plusieurs révisions en 1972, 1978 et 1991[3], l’UPOV a étendu le droit de propriété aux variétés “découvertes” et a octroyé des droits monopolistiques sur la production, la commercialisation, l’exportation et l’importation. Les entreprises peuvent également demander la confiscation des cultures, des plantations, des récoltes et des produits dérivés de la récolte, et imposer des sanctions pénales, y compris des peines de prison[4].

La Tunisie a ratifié la Convention UPOV en 1977 et a adhéré à la version révisée de la Convention UPOV en 1991[5]. Ainsi, la promotion et la commercialisation des semences certifiées ont pris le pas sur les semences paysannes en Tunisie. Cela a servi  les intérêts économiques des entreprises semencières, étant donné que l’inscription des semences ne peut être réalisée qu’à travers ces entreprises à cause de la complexité des procédures d’inscription.

Les limites des semences hybrides et commerciales:

Les semences hybrides et commerciales sont sélectionnées pour leur homogénéité et leur stabilité, ce qui signifie qu’elles produisent des cultures plus uniformes et prévisibles. L’uniformité des semences hybrides est souvent recherchée pour faciliter la mécanisation de la récolte. Cependant, cette uniformité peut également poser un problème en cas d’aléas climatiques ou de maladies, car si toutes les plantes ont les mêmes caractéristiques, elles peuvent toutes être vulnérables aux mêmes menaces. En effet, si une maladie ou un parasite affecte une plante, cela peut facilement se propager à toutes les autres plantes de même variété. Cela a été le cas pour la pomme de terre en Irlande au XIXe siècle, où une épidémie de mildiou[6] a décimé la culture, qui était alors largement basée sur une seule variété[7]. De même, la culture de maïs hybride aux États-Unis a été gravement touchée par la rouille du maïs, qui s’est propagée rapidement à travers les cultures uniformes de cette variété[8].

En Tunisie, les agriculteurs à Bembla-Monastir ont été confrontés à une nouvelle maladie rare affectant les pépinières de poivrons en 2020. Ce virus était inconnu des services agricoles, qui ne disposaient d’aucune méthode pour y faire face. La situation a causé des pertes importantes pour environ 400 agriculteurs, à cause de l’utilisation d’une seule variété de poivron non résistante à ce virus[9].

Pour lutter contre cette fragilité, les semences commerciales ont été conçues pour être utilisées dans des conditions de production intensives, avec une utilisation importante d’engrais, de pesticides et d’irrigation. Les agriculteurs qui souhaitent utiliser des semences commerciales doivent alors acheter des quantités importantes de semences et d’autres intrants chaque année, ce qui représente un fardeau financier pour les petits exploitants qui n’ont pas les moyens de se permettre ces coûts supplémentaires. De plus, les semences commerciales sont souvent protégées par des brevets et ne peuvent donc pas être reproduites ou échangées librement, ce qui réduit encore la capacité des agriculteurs à contrôler leur production. Par le passé, les agriculteurs et paysans avaient pour pratique courante de conserver leurs propres semences issues des récoltes précédentes, leur permettant ainsi d’assurer la production de l’année suivante sans nécessiter de capital financier préalable.

De manière générale, l’utilisation de semences commerciales peut apporter certains avantages aux exploitants agricoles possédant les moyens financiers suffisants pour les acquérir. Toutefois, cela peut représenter un obstacle majeur pour les petits agriculteurs qui ont besoin de  produire leurs propres semences. Il est donc important de mettre en place une politique agricole équilibrée à travers des normes techniques appropriées qui prennent en considération les besoins des différents types d’agriculteurs, tout en visant à favoriser la durabilité et la résilience de l’agriculture à long terme.

Les normes techniques favorisent l’inscription des semences commerciales au catalogue national des semences: 

Les normes techniques actuelles sont souvent basées sur deux critères principaux qui sont: La Valeur Agronomique, Technologique et Environnementale (VATE) et la Distinctivité, Homogénéité et Stabilité (DHS) qui sont des critères utilisés pour évaluer la qualité et la pureté des semences. 

La DHS évalue la pureté variétale de la semence, en vérifiant qu’elle est bien composée de plants génétiquement identiques. Pour ce faire, on évalue la distinctivité, qui mesure les différences physiques entre les plants (taille, forme, couleur…), l’homogénéité, qui mesure la similarité entre les plants de la même variété, et la stabilité, qui mesure la capacité de la variété à maintenir ses caractéristiques au fil des générations[10].

La VATE est un ensemble de caractéristiques qui évalue la capacité d’une variété de semences à produire des cultures à haut rendement, tout en étant adaptée aux conditions locales et en préservant l’environnement. Elle prend en compte des critères tels que la tolérance aux maladies, la précocité, le rendement, la qualité nutritionnelle, la résistance aux stress environnementaux, etc[11].

Ces normes actuelles sont basées sur des critères qui ne prennent pas en compte les caractéristiques spécifiques des semences paysannes, telles que leur adaptabilité, leur diversité génétique, leur résilience et leur valeur culturelle et patrimoniale. Il est vrai que les semences paysannes présentent des avantages en termes de qualité nutritionnelle, de tolérance aux maladies et de résistance aux stress environnementaux (VATE)[12]. Cependant, en ce qui concerne les autres critères tels que la DHS, les semences commerciales ont l’avantage. De plus, les normes en vigueur favorisent les semences commerciales et hybrides en raison de leur forte productivité par rapport aux semences paysannes, facteur tranchant pour l’inscription des semences dans le catalogue national des semences. 

De ce fait, les semences paysannes ne sont pas en mesure d’être inscrites au catalogue national des semences. Par conséquent, leur diversité génétique est en danger malgré les efforts de la banque nationale des gènes en Tunisie[13]. Elles sont souvent considérées comme inférieures par les grands agriculteurs, les chercheurs et les décideurs politiques, ce qui entraîne des impacts négatifs sur la biodiversité agricole, la souveraineté alimentaire et la capacité des agriculteurs à s’adapter aux changements climatiques.

Alternatives proposées:

 L’alternative proposée par cette note est de créer un registre national des semences paysannes en Tunisie qui serait dédié aux semences paysannes. Il convient de préciser que ce registre ne vise pas à remplacer le catalogue officiel des semences, mais plutôt à offrir une alternative pour permettre l’inscription des semences paysannes en accord avec des normes spécifiques qui les valorisent. En effet, les normes d’inscription actuelles dans le catalogue des semences, dictées par l’Union internationale pour la protection des obtentions végétales (UPOV), ne sont pas adaptées aux semences paysannes. Ce registre permettrait donc de compléter le catalogue officiel et de garantir aux agriculteurs une plus grande liberté de choix en matière de semences.

La mise en place de ce nouveau registre national des semences en Tunisie permettrait donc de valoriser les semences paysannes en reconnaissant leur importance culturelle, nutritionnelle et environnementale, tout en garantissant leur qualité et leur adaptation aux conditions locales. Cela permettrait également de préserver la biodiversité agricole et de promouvoir l’autonomie des agriculteurs en matière de sélection et de production des semences.

Il est essentiel de remédier au vide juridique actuel, qui a donné lieu à diverses infractions de la part de certains agriculteurs qui ont malgré tout choisi de commercialiser des semences paysannes. Ces infractions comprennent notamment la vente de semences non inscrites au catalogue, des prix excessifs, l’absence de contrôle sur ces variétés, y compris celles présentées comme locales, ainsi que le risque potentiel de propagation de pathologies. Une réglementation claire et adaptée est nécessaire pour garantir une commercialisation responsable des semences paysannes tout en assurant leur préservation et leur valorisation.

Trouver un équilibre entre les semences paysannes et commerciales pour une agriculture durable

L’accroissement des rendements agricoles peut être attribué en partie à l’amélioration génétique des semences (en plus de l’irrigation, les fertilisants et les produits phytosanitaires). Les variétés modernes, qui ont été sélectionnées pour répondre aux besoins de l’agriculture industrielle, ne sont pas toujours adaptées aux conditions de cultures artisanales. De plus, l’utilisation excessive d’engrais chimiques, de pesticides et d’autres pratiques agricoles modernes ont contribué à la dégradation des sols et de l’environnement[14].

D’autre part, les variétés locales peuvent être mal adaptées aux pratiques agricoles modernes et à la mécanisation[15] puisqu’elles ne répondent pas aux critères d’homogénéité et productivité nécessaires à ce modèle. Cependant, ces variétés sont souvent plus résistantes, ce qui les rend plus durables et fiables pour les petits agriculteurs qui pratiquent l’agriculture de subsistance.

L’amélioration génétique, quant à elle, tend à produire des écotypes[16] spécialisés qui sont mieux adaptés aux conditions artificielles de l’agriculture moderne. Cela peut inclure l’utilisation d’engrais, la protection contre les parasites, l’élimination des adventices, et éventuellement l’irrigation. Cependant, cette spécialisation peut également rendre ces variétés plus vulnérables aux changements climatiques.

En fin de compte, il est important de trouver un équilibre entre les avantages de l’amélioration génétique et les besoins des petits agriculteurs qui pratiquent l’agriculture de subsistance. Les variétés locales peuvent jouer un rôle important dans la préservation de la biodiversité agricole et dans l’adaptation aux changements environnementaux, tout en répondant aux besoins des petits agriculteurs pour des cultures fiables et résistantes.

Avantages des semences paysannes:

L’adoption de nouvelles normes techniques qui prennent en compte les avantages des semences paysannes et qui favorisent leur préservation et leur utilisation devient une nécessité. Ces normes devraient inclure des critères tels que l’adaptation aux conditions locales, la résilience aux changements climatiques, la diversité génétique, la souveraineté alimentaire et la valeur culturelle. Les normes devraient être élaborées en collaboration avec les agriculteurs, les communautés locales, la banque des gènes, les chercheurs et les décideurs politiques. 

En revanche, les semences paysannes, qui ne répondent pas nécessairement aux critères DHS, peuvent avoir une plus grande diversité génétique et des caractéristiques différentes d’une plante à l’autre. Cela peut être un avantage car cela permet une auto-sélection naturelle des plantes les plus résistantes aux aléas climatiques et aux maladies locales[17]. Cette auto-sélection peut favoriser l’adaptation des plantes aux conditions spécifiques d’un lieu, ce qui peut conduire à des cultures plus résistantes et plus durables à long terme

A titre d’exemple, les semences paysannes sont bénéfiques pour la gestion des risques agricoles dans le sud de la Mauritanie. Les producteurs cultivent divers écotypes[18] de sorgho en association avec d’autres cultures pour minimiser les risques. Les systèmes de culture utilisent peu d’engrais chimique ou organique, pas de traitement chimique et le travail du sol est souvent superficiel, ce qui conduit à une forte hétérogénéité dans les parcelles cultivées. Les producteurs ont donc intérêt à conserver cette hétérogénéité en semant des semences paysannes pour assurer un niveau minimal garanti de récolte[19].

Il est donc nécessaire d’adopter de nouvelles normes qui tiennent compte des particularités des semences paysannes et de leur rôle dans la préservation de la biodiversité et l’adaptation au changement climatique. Les normes doivent être orientées vers la préservation des semences paysannes, en reconnaissant leur valeur agronomique, culturelle et environnementale. Cela implique de reconnaître la diversité génétique et de promouvoir la conservation et l’utilisation des semences paysannes.

Quelles normes peuvent assimiler et valoriser les semences paysannes:

Plusieurs normes techniques alternatives peuvent être utilisées pour valoriser et enregistrer les semences paysannes sans avoir recours aux normes DHS de l’UPOV. En effet, la non-conformité à ces normes peut même être considérée comme un avantage, car l’hétérogénéité des semences paysannes leur confère une résilience et une capacité d’adaptation.

L’une de ces normes techniques est la certification participative, similaire à celle parfois utilisée pour le label BioSPG (Système Participatif de Garantie) au Burkina Faso[20], qui implique la participation des agriculteurs et des communautés paysannes dans le processus de certification des semences. Cette norme permet de reconnaître et de valoriser les savoirs locaux en matière de sélection de semences, et de promouvoir des pratiques agricoles durables.

Une autre norme technique est l’enregistrement participatif des variétés, qui permet aux agriculteurs et aux communautés locales de participer au processus d’enregistrement et de conservation des semences paysannes. Cette norme est souvent utilisée dans les pays en développement, où les variétés locales sont souvent négligées au profit des variétés commerciales. Cette norme technique est soutenue par la FAO (Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture)  qui encourage l’utilisation de l’enregistrement participatif des variétés comme moyen de préserver la diversité génétique des cultures et de promouvoir la sécurité alimentaire dans les communautés rurales[21].

Il existe aussi d’autres normes techniques, biologiques, génétiques et culturelles pour la valorisation et l’inscription des semences paysannes, telles que :

  • Normes techniques : elles concernent les caractéristiques physiques et techniques des semences, telles que la qualité des graines, la teneur en humidité, la pureté variétale, la germination, etc. Ces normes sont souvent établies par les autorités nationales ou régionales chargées de l’agriculture et des semences.
  • Normes biologiques : elles portent sur les caractéristiques biologiques des semences, telles que la résistance aux maladies et aux parasites, la tolérance à la sécheresse, la productivité, etc. Ces normes sont établies en fonction des conditions agro-écologiques de chaque région ou pays.
  • Normes génétiques : elles concernent la diversité génétique des semences et leur adaptation aux conditions locales. Elles peuvent être établies à travers des programmes de sélection participatives impliquant les agriculteurs locaux, ou par des instituts de recherche agricole travaillant sur la conservation et l’amélioration des variétés locales.
  • Normes culturelles et patrimoniales : ces normes prennent en compte les aspects culturels, sociaux et patrimoniaux des semences paysannes. Elles reconnaissent que les semences paysannes sont souvent liées à des pratiques culturelles et traditionnelles spécifiques, qui peuvent être en danger de disparition en raison de la perte de biodiversité et de l’adoption de variétés commerciales standardisées. Les normes culturelles et patrimoniales visent à protéger ces pratiques et à promouvoir la diversité culturelle.

Ces normes, entre autres, peuvent être utilisées pour établir des critères d’inscription des variétés locales dans le registre national des semences paysannes. Elles permettent également de garantir la qualité et la diversité des semences paysannes, tout en préservant leur adaptation aux conditions locales et en favorisant leur valorisation économique.

Des expériences comparées: 

Il existe plusieurs pays dans le monde qui ont réglementé la commercialisation des semences paysannes pour les rendre disponibles sur le marché. Les exemples les plus connus sont ceux de la France, du Brésil et du Pérou.

En France, une loi relative à la biodiversité a été adoptée en 2016 pour permettre la commercialisation des semences paysannes. Cette loi autorise la production, la reproduction et l’échange de semences de variétés traditionnelles et locales, à condition que ces variétés soient inscrites sur une liste nationale. Les agriculteurs peuvent donc vendre des semences paysannes, et les consommateurs ont accès à une plus grande diversité de variétés[22].

Au Brésil, la loi n° 10.711 des semences, a été promulguée en 2003 pour réglementer la production, la commercialisation et l’utilisation des semences[23]. Cette loi reconnaît la diversité des semences, y compris les semences paysannes, et établit des règles pour leur certification et leur commercialisation. Elle permet également aux agriculteurs de produire, d’utiliser, d’échanger et de vendre leurs propres semences sans restrictions excessives.

En vertu de cette loi, les semences paysannes peuvent être enregistrées et certifiées par le Ministère de l’Agriculture, de l’Elevage et de l’Approvisionnement (MAPA) en fonction de leur adaptation aux conditions locales, de leur diversité génétique, de leur qualité et de leur disponibilité commerciale. Cela permet aux agriculteurs qui produisent des semences paysannes d’obtenir une certification officielle, ce qui peut leur donner accès à des marchés plus larges et à des programmes de soutien gouvernementaux.

Au Pérou, la loi n° 27811 portant sur la promotion et la sauvegarde des connaissances des peuples indigènes sur les ressources biologiques a été adoptée en 2002 pour protéger les semences indigènes et les savoirs traditionnels associés. Cette loi reconnaît la propriété collective des semences indigènes et interdit leur appropriation privée. Elle autorise également la production, la reproduction, la commercialisation et l’échange des semences indigènes entre les agriculteurs[24].

Dans tous ces cas, les lois ont été adoptées pour protéger les semences paysannes, souvent délaissées par les systèmes de propriété intellectuelle comme les COV (Certificat d’Obtention Végétale). Elles ont permis de maintenir la diversité des variétés cultivées et de soutenir les petits agriculteurs locaux. Cependant, ces lois sont souvent l’objet de débats et de controverses, notamment sur la question de savoir si elles sont suffisamment protectrices ou si elles favorisent la privatisation des semences.

Conclusions et recommandations:

Les normes techniques actuelles favorisent les semences commerciales et hybrides au détriment des semences paysannes. Nous recommandons l’adoption de nouvelles normes qui favorisent la préservation et l’utilisation des semences paysannes pour s’adapter au changement climatique et protéger les droits des petits agriculteurs.

Pour encourager l’utilisation des semences paysannes en Tunisie, il est nécessaire de modifier la législation en vigueur et de promouvoir des politiques favorables aux semences paysannes. Voici quelques propositions de solutions :

  • Ministère de l’agriculture: doit instiguer la réforme du cadre juridique actuel et vers un cadre juridique propice pour la création d’un registre national des semences paysannes.
  • La direction générale de la production agricole (DGPA) et la direction générale de la santé végétale et des intrants agricoles (DGSVIA) doivent étudier la faisabilité technique et mettre en place les normes d’inscription ainsi que les réglementations procédurales pour la mise en place d’un plan d’action clair permettant l’inscription des semences dans le registre national des semences paysannes. 
  • La direction générale des affaires législatives: Proposer un projet de loi pour la création juridique de registre national des semences paysannes (projet de loi ministère de l’agriculture) en prenant en compte leurs caractéristiques spécifiques et leur importance pour la biodiversité agricole déjà préparés par DGPA et DGSVIA.
  • L’assemblée des représentants du peuple ARP et plus précisément la commission de l’agriculture :
    doit adopter le projet de loi proposé par le ministère de l’agriculture et ses directions et plaider pour la création d’ un registre national indépendant des semences paysannes et réviser la loi n°99-42 du 10 mai 1999 afin d’autoriser la production et la commercialisation des semences paysannes
  • L’agence de promotion des investissements agricoles APIA:
    doit élaborer des politiques et des programmes de soutien financier et technique pour encourager la production et la commercialisation des semences paysannes, en offrant des subventions et des incitations fiscales ainsi que des programmes d’accompagnement pour soutenir les agriculteurs souhaitant produire des semences paysannes de qualité supérieure.
  • Commissariat Régional de Développement Agricole (CRDA) en collaboration avec les Cellules Territoriales de Vulgarisation affiliées :
    Doivent assurer la mise en place des programmes d’accompagnement de l’APIA et fournir toutes les informations, les documents, et les procédures d’inscription et de production des semences paysannes. 
  • Les instituts de recherches (INRAT, INGREF, BNG) :
    Doivent collaborer avec les agriculteurs afin de sélectionner les semences qui répondent aux normes dépeintes dans le texte de loi du registre national des semences paysannes et faciliter le processus de leur inscription (au nom des institutions de recherche ou au nom des individus).
  • L’union Tunisienne de l’agriculture et de la pêche UTAP :
    Doit encourager la création des réseaux des agriculteurs et des producteurs des semences paysannes afin de propager les connaissances et faciliter les échanges et permettre la normalisation de la production des semences paysannes. 
  • Institut national du Patrimoine (INP): doit renforcer l’adoption du projet de loi proposé tout en reconnaissant les semences paysannes comme patrimoine naturel à préserver
  • Le ministère de l’agriculture, le ministère de la culture (Institut national du Patrimoine) et la société civile en collaboration avec les médias: 

Doivent sensibiliser les agriculteurs, les décideurs et le grand public à l’importance des semences paysannes pour la sécurité alimentaire, la biodiversité agricole, la souveraineté alimentaire et la valeur culturelle et historique de ce patrimoine.

[1]http://agridata.tn/dataset/loi-n-99-42-du-10-mai-1999-relative-aux-semences-plants-et-obtentions-vegetales/resource/540c2f81-265b-4860-819b-c35fe7b1a3b0[2]https://houloul.org/fr/2020/12/12/les-semences-locales-une-histoire-de-depossession/[3]https://www.upov.int/edocs/pubdocs/fr/upov_pub_221.pdf [4]https://grain.org/media/W1siZiIsIjIwMTMvMTEvMDEvMTNfNDJfNTJfNDA2X0dSQUlOX0xvaXNfc3VyX2xlc19zZW1lbmNlc19lbl9BbWVyaXF1ZV9MYXRpbmUucGRmIl1d[5]https://www.upov.int/meetings/fr/doc_details.jsp?meeting_id=4193&doc_id=11493[6]une maladie fongique qui affecte les plantes[7]https://www.semencemag.fr/parasite-famine-irlande.html[8]https://core.ac.uk/download/39894041.pdf[9]https://www.tunisienumerique.com/monastir-destruction-de-toute-la-recolte-de-piments-apres-la-decouverte-dun-nouveau-virus/[10]https://www.upov.int/resource/fr/introduction_dus.html[11] https://www.wipo.int/wipolex/fr/legislation/details/10904[12]https://ecolo-ethik.org/semences-paysannes/[13]https://www.admin.ites.tn/api/uploads/files/49ddc73caea0b0f7d8cd6dc45e8a4dbf.pdf[14] https://www.conservation-nature.fr/ecologie/menaces-ecologiques/agriculture-elevage/impact-pratiques-agricoles-biodiversite/#:~:text=Les%20pratiques%20agricoles%20actuelles%20occasionnent,importante%20de%20la%20diversité%20biologique.[15]Directives d’application volontaire pour la conservation et l’utilisation durable des variétés des agriculteurs/variétés locales_FAO_ page 6  https://www.fao.org/3/ca5601fr/CA5601FR.pdf[16]Sous-espèce engendrée par la sélection au sein d’un habitat particulier et s’étant adaptée génétiquement à cet habitat, mais qui peut se croiser avec d’autres membres de l’espèce. https://www.actu-environnement.com/ae/dictionnaire_environnement/definition/ecotype.php4 [17]https://reporterre.net/Face-au-changement-climatique-les[18]https://www.actu-environnement.com/ae/dictionnaire_environnement/definition/ecotype.php4#:~:text=%C3%89cotype%20%2D%20Dictionnaire%20environnement&text=Sous%2Desp%C3%A8ce%20engendr%C3%A9e%20par%20la,autres%20membres%20de%20l’esp%C3%A8ce[19]https://www.inter-reseaux.org/publication/52-53-les-semences-intrant-strategique-pour-les-agriculteurs/enjeux-de-la-preservation-des-semences-paysannes-de-sorgho-en-mauritanie/[20]https://www.google.com/url?sa=t&rct=j&q=&esrc=s&source=web&cd=&ved=2ahUKEwj93_ea4ab-AhVxhP0HHYP2BrEQFnoECBAQAQ&url=https%3A%2F%2Fdial.uclouvain.be%2Fdownloader%2Fdownloader.php%3Fpid%3Dthesis%253A22926%26datastream%3DPDF_01%26cover%3Dcover-mem&usg=AOvVaw29Ad_7AmsDsb-TbND2XNUk [21] Point 23- https://www.fao.org/3/nk242fr/nk242fr.pdf [22]https://www.radiofrance.fr/franceinter/podcasts/l-edito-carre/les-semences-paysannes-enfin-autorisees-3097676[23]https://ressources.semencespaysannes.org/document/fiche-document-14.html[24]https://www.wipo.int/wipolex/fr/text/497311

Références bibliographiques
Le contributeur

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