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Résumé exécutif : 

La Tunisie est confrontée à un problème de congestion lié au nombre important de véhicules privés et à l’état archaïque du transport public. Cette situation laisse une empreinte carbone de 6,4 millions de téCO2 (Tonne équivalent Carbone)[1] qui amplifie le problème du réchauffement climatique et ses effets.

L’encombrement des moyens de transport en commun constitue un grand problème surtout durant cette crise sanitaire due à la propagation de la Covid-19.  Le vélo, comme mode de transport écologique, peut contribuer à diminuer le problème de congestion, à réduire le risque de propagation du coronavirus dans les moyens de transport en commun et à réduire l’impact carbone. Ce papier traite de l’importance d’encourager l’utilisation du vélo comme mode de transport alternatif aux voitures et de la nécessité de développer des aménagements nécessaires à ce type de transport.

Ce papier qui est destiné aux décideurs locaux et nationaux ainsi qu’aux différentes parties prenantes qui interviennent d’une manière directe ou indirecte dans le secteur du transport permet d’une part, de souligner l’importance d’encourager les citoyens à utiliser le vélo comme moyen de transport alternatif aux voitures et aux autres moyens de transports publics et privés et d’encourager la mise en place d’espaces aménagés spécifiques à ce moyen alternatif de transport d’autre part.

Introduction :

L’éco-mobilité, également appelée mobilité durable ou mobilité douce, est une stratégie d’aménagement territorial en faveur d’une ville peu polluante et respectueuse de l’environnement[2]. Ce Policy Brief s’adresse aux décideurs politiques au niveau national et au niveau local, principalement le ministère chargé de l’équipement et de l’aménagement territorial, le ministère chargé de l’environnement, le ministère chargé des affaires locales, le ministère chargé de l’éducation, le ministère chargé des jeunes et de la politique sportive ainsi qu’aux municipalités, aux législateurs tunisiens et aux organisations de la société civile. Le but de ce Policy Brief est de souligner l’importance d’adopter une politique urbaine en faveur de l’éco-mobilité afin de résoudre les problèmes de congestion et de réduire l’impact écologique dans les grandes villes. Les recommandations développées contribuent à consacrer les principes constitutionnels garantissant le droit à un environnement sain et équilibré et préservant la protection du milieu. Il incombe à l’État de fournir les moyens nécessaires afin d’éliminer la pollution de l’environnement.

Mobilité urbaine en Tunisie : Problème de congestion et risque écologique 

Problème de congestion du trafic routier : 

Suite à l’étalement urbain, les besoins de mobilité des citoyens augmentent. D’où, la nécessité d’avoir un transport public efficace. En Tunisie, depuis la fin des années 2000, le développement des moyens de transport en commun s’est ralenti. Il est désormais devenu inefficace, ne répondant plus aux besoins des citoyens. Ce qui a favorisé l’utilisation de la voiture et a engendré « une situation de congestion quotidienne»[3]. En effet, la part modale des transports publics représente aujourd’hui environ 30% de la part modale des transports motorisés à Tunis ; celle des véhicules privés est de 70%[4].

Cette situation fragile du transport en commun impacte l’accessibilité qui a été définie comme « la possibilité ou la facilité d’atteindre les lieux potentiels de réalisation des activités des individus, à partir d’une localisation donnée et d’un système de transport »[5]. Un faible système de transport impacte l’accès à l’emploi, à l’éducation et aux services sociaux. Par conséquent il approfondit les inégalités sociales et augmente le taux de pauvreté.

De même, la crise sanitaire liée à la Covid-19 a accentué la vulnérabilité du secteur du transport en commun. L’encombrement dans les moyens de transport, dû principalement à l’état quasi archaïque de la flotte du transport en commun[6], ne permet pas de garantir la distanciation sociale, surtout pendant les heures de pointe[7]

Impact écologique du secteur du transport :

Outre la problématique de congestion, le secteur du transport contribue au bilan des émissions de Gaz à effet de serre (GES) du secteur de l’énergie avec 25,8%. Ce taux n’est pas négligeable. En effet, il est le secteur le plus polluant après les industries énergétiques[8]. Ce qui a certainement un effet sur la santé publique. En effet, la pollution de l’air peut avoir divers effets à court et à long terme sur la santé. Elle « accroît le risque de maladies respiratoires aiguës (pneumonie, par exemple) et chroniques (cancer du poumon, par exemple) ainsi que de maladies cardio-vasculaires »[9]. Les émissions de GES sont dominées par le CO2. Le transport, principalement le transport routier, contribue avec 6,9 millions de tonnes de CO2, soit 27% des émissions de CO2 dues à la combustion énergétique[10]

Le parc automobile tunisien est constitué de l’ensemble des véhicules immatriculés en Tunisie. Il se compose du parc d’automobiles particulières (voitures de Tourisme et commerciales) et du parc de véhicules utilitaires (camions et camionnette, autocars etc.). Entre 2009 et 2015, le secteur automobile a connu une croissance annuelle moyenne de 6,4%. La voiture particulière représente la plus grande part du parc automobile tunisien soit plus que 60%[11]. En 2016, le nombre de véhicules particuliers était au nombre de 59 207 véhicules sur un total de 96 313 véhicules immatriculés en Tunisie[12]. Selon l’Agence Technique des Transports Terrestres (ATTT), le parc des voitures en Tunisie est estimé fin 2016, à près de 2 millions de véhicules circulant sur les routes tunisiennes et s’agrandit de 70 à 80 000 véhicules par an[13]. La réduction du trafic automobile est l’un des instruments qui permettent d’agir sur la réduction des émissions carbone.

Transition vers une mobilité douce en Tunisie :

Adopter le vélo comme mode de transport écologique permet de limiter les problèmes socio-économiques liés à la congestion, les problèmes sanitaires liés à la propagation de la Covid-19 ainsi que les problèmes environnementaux liés principalement aux émissions carbones du secteur du transport.

Le vélo une sérieuse solution à la congestion : 

Bien que les pourcentages de l’usage du vélo comme mode de déplacement quotidien, publiés dans le rapport de la Banque Mondiale dans les grandes villes tunisiennes sont faibles : 0,8% de la part modale à Sfax, moins de 1% à Tunis[14], nous remarquons une nouvelle dynamique d’acteurs qui promeuvent l’usage du vélo, principalement en tant qu’activité de loisir ou bien en tant qu’activité sportive. Ces acteurs sont principalement des mouvements non structurés dans une association qui sont apparu dans plusieurs régions de la Tunisie et qui communiquent principalement par des pages ou des groupes Facebook. Nous citons par exemple « Baskel », « We Bike in La Marsa », « Club cyclistes Ben Arous », « Mahdia Bike Club », « I Bike in Sfax », « Nomadic Bike », « Club VTT de l’association Djerba Insolite ». En contrepartie, l’usage du vélo en tant que moyen de transport reste paralysé par le manque d’infrastructures adaptées. 

Cela est dû principalement aux investissements alloués à l’aménagement et l’extension des voiries, négligeant le vélo comme mode de transport urbain ainsi qu’à l’intervention des lobbys automobiles qui ne cessent « de donner une image de liberté et de style à la voiture ». En effet, l’Etat tunisien a favorisé une politique urbaine de transport qui incite l’usage de véhicules privés en initiant, en 1994, le programme « voiture populaire » afin d’encourager les classes moyennes à acheter des voitures[15]. Une politique qui ne résout absolument pas les problèmes de congestion. Selon Sarra Rejeb (secrétaire d’Etat auprès du ministre du Transport en 2017), la congestion au Grand Tunis a coûté 600 millions de dinars par an à l’Etat[16]

C’est pour cette raison qu’il est temps aujourd’hui de mettre en place une politique urbaine et d’adopter des réglementations en faveur de l’usage du vélo comme mode de transport dans les grandes villes.

La mobilité active présente plusieurs avantages. C’est une solution pour fluidifier le trafic routier. En effet, si les Pays-Bas ont pu augmenter la part modale du vélo (24% à Amsterdam), c’est grâce aux politiques de maîtrise du trafic automobile équilibré avec les autres modes de déplacement, en particulier les déplacements cyclistes. Ces politiques avaient comme stratégie d’établir un plan directeur national qui favorise l’usage des vélos, l’aménagement d’itinéraires cyclables, l’attribution d’une part importante des routes aux vélos et l’aménagement d’espaces de stationnement et d’abris pour les vélos[17].

Usage du vélo réduit le risque de propagation de la Covid-19 :

Durant cette période de crise sanitaire, l’usage du vélo est une solution pour éviter les transports en commun souvent encombrés. L’OMS recommande également le vélo à la fois comme moyen de transport et comme moyen pour rester en bonne santé pendant et après la crise sanitaire[18]. Plusieurs pays ont encouragé le déplacement à vélo pour garantir la distanciation sociale et lutter contre la propagation de la Covid-19 en créant de nouveaux réseaux de pistes cyclables appelés « piste d’urgence », ou également « coronapistes ». 

A la suite de la crise sanitaire un nombre croissant de personnes choisissent de se déplacer à pied ou à vélo pour éviter les passages massifs encombrés et suivre les conseils des autorités sanitaires en matière de distance physique. Pour répondre à ces tendances, Milan, Genève, Bruxelles et Londres ont décidé d’investir dans des pistes cyclables flexibles[19].

De même, à la suite de la crise sanitaire, un collectif d’association en France a pu concrétiser l’idée d’un réseau express régional vélo, de 360km de piste cyclable, soutenu par la région Ile-de-France[20].

Pour une ville durable :

Les données relatives à la pollution atmosphérique en Tunisie sont alarmantes. Les véhicules contribuent intensément à la pollution atmosphérique[21]. Une étude réalisée par le programme européen de recherche « Transportation, Air pollution and Physical Activities » (TAPAS) a montré que la bicyclette améliore la qualité de l’air en réduisant le niveau de pollution[22]

L’usage du vélo comme mode de transport urbain peut être une solution sérieuse de décarbonisation pour la Tunisie. Certes, les moyens de transport en commun permettent de diviser l’empreinte carbone de la distance parcourue sur le nombre de passagers mais le vélo, contrairement aux autres moyens de transport individuel, « représente sur de nombreux points le meilleur moyen de transport individuel ». Comparé à un véhicule motorisé, « la fabrication d’un vélo mécanique ne demande que peu de ressources […] et il ne rejette bien sûr aucune émission de carbone supplémentaire. »[23]

Conclusions :

Etant donné que « toute personne a le droit de circuler librement »[24] et que ce droit de liberté de circulation est garanti par la constitution de la république tunisienne[25], l’espace public doit être partagé entre les différents usagers (piétons, cyclistes, automobilistes etc.) Il est donc important de miser dans les politiques publiques tunisiennes sur le développement d’infrastructures cyclables et le stationnement pour les vélos. 

Un projet d’aménagement favorisant l’éco-mobilité contribue à améliorer l’image de marque de la municipalité. En effet, il permet la réduction de l’empreinte écologique de la municipalité et permet de mobiliser des fonds nationaux et internationaux. De même, il contribue à l’amélioration de la qualité de vie des citoyens. L’amélioration de la mobilité a également des impacts économiques positifs, puisqu’elle permet de faciliter les déplacements des travailleurs et d’améliorer l’accessibilité à tous les secteurs de la zone aménagée.

Afin de favoriser l’utilisation du vélo comme mode de déplacement quotidien dans les grandes villes, il faut construire un réseau de voies cyclables sécurisées en Tunisie et revoir le cadre législatif de l’utilisation du vélo. Pour cela il faut une forte volonté politique partagée au niveau national et municipal appuyée par des mesures concrètes.

Recommandations : 

Afin d’assurer une transition vers une mobilité douce et d’augmenter la part modale du vélo, nous proposons les recommandations suivantes : 

  • Les municipalités, le ministère chargé de l’équipement et de l’aménagement territorial en coordination avec le ministère chargé des affaires locales ainsi que le ministère chargé de l’environnement devraient s’engager à créer des pistes cyclables dans toutes les villes. Cette action pourrait être appuyée par les associations locales.
  • Les municipalités en coordination avec les associations locales ainsi que les citoyens devraient organiser des journées sans voitures dans leurs villes. De même les municipalités devraient mettre en place des zones sans voiture.
  • Le ministère chargé de l’équipement et de l’aménagement territorial devrait diminuer la vitesse du trafic automobile en changeant la configuration spatiale et la signalisation ou bien créer des rues où les voitures sont autorisées mais où les piétons et cyclistes sont prioritaires lorsque l’espace est trop restreint pour pouvoir séparer physiquement les cyclistes du trafic automobile.
  • Le législateur devrait adopter des lois qui exigent que les institutions publiques, les centres commerciaux ainsi que tout lieu de travail doivent se doter d’infrastructures permettant le stationnement sécurisé des vélos.
  • L’Association Tunisienne de la Prévention Routière en collaboration avec les différents acteurs de la société civile devrait développer des campagnes de prévention pour que les automobilistes respectent les cyclistes.
  • Le ministère chargé de l’éducation en collaboration avec le ministère chargé de la jeunesse et de la politique sportive devrait développer une stratégie afin d’intégrer l’apprentissage du vélo dans les écoles. Ils peuvent être appuyés par les associations locales et nationales. 
  • Le ministère chargé du transport en coordination avec les municipalités devrait soutenir et encourager les projets visant à mettre à disposition de la flotte des vélos à louer dans les grandes villes.
  • Le ministère chargé de l’équipement et de l’aménagement territorial ainsi que le ministère chargé du transport devraient repenser la stratégie d’urbanisation actuelle fondée sur des transports individuels motorisés afin d’instaurer une politique de mobilité qui soit adaptée aux enjeux du territoire. De même, ils devraient appuyer les municipalités afin de préparer des plans de mobilité en faveur de la mobilité douce.

[1]  Emission de Gaz à effet de serre de la Tunisie en 2012, Ministère des Affaires Locales et de l’Environnement, 2012 [2]  Écomobilité, Futura Planète  [3]  Vers une mobilité urbaine durable en Tunisie, CODATU, juillet 2018 [4]  Note de stratégie sectorielle relative au secteur des transports urbains, La Banque mondiale, 2019, p.13. [5]  Accessibility indicators for transport planning, Morris J M, Dumble P l, Wigan M R (1979). Transportation Research, 1979 cité dans inégalités d’accessibilité à l’emploi en transport collectif urbain : deux décennies d’évolutions en banlieue lyonnaise, Louafi Bouzouina, Jorge Cabrera Delgado, Guillaume Emmerich, Revue d’Économie Régionale & Urbaine, 2014, p.37 [6]  Transport en commun en Tunisie : un cauchemar, Monarque, 2018 [7]  Transports en commun | Heures de pointe : Peut-on éviter la foule ?, Meriem Khedimallah, La Presse, Octobre 2020. [8] Premier Rapport biennal de la Tunisie, Ministère de l’Equipement, de l’Aménagement du Territoire et du Développement Durable, Secrétariat d’Etat au Développement Durable, décembre 2014, p.25. [9] Effets sur la santé de la pollution de l’air en milieu urbain, OMS [10]  Premier Rapport biennal de la Tunisie, Ministère de l’Equipement, de l’Aménagement du Territoire et du Développement Durable, Secrétariat d’Etat au Développement Durable, décembre 2014, p.26. [11]  Le secteur automobile en Tunisie, ambassade de France en Tunisie service économique régional, janvier 2018 [12]  Tunisie en chiffres, INS, 2018 [13]  Le secteur automobile en Tunisie, ambassade de France en Tunisie service économique régional, janvier 2018 [14]  Note de stratégie sectorielle relative au secteur des transports urbains, La Banque mondiale, 2019, p.34 [15]  Le vélo dans les villes méditerranéennes du sud : il est temps de passer la seconde ! Mathieu Martin, Codatu, 2017 [16]  Les embouteillages, dans le Grand-Tunis, coûtent 600 MD par an à l’Etat, Webdo, 2018 [17]  Politiques urbaines et mobilité durable : analyse comparée d’Athènes et Amsterdam, V.Pomonti, Écologie & politique, 2004, p.63 [18] Bicycles : Setting the wheels of change in motion during and after COVID-19, UN news, 2020 [19]  UN eyes bicycles as driver of post-COVID-19 ‘green recovery’, United Nations, May 2020 [20]  L’lle-de-France va investir 300 millions d’euros pour la réalisation du RER vélo, Sébastian Compagnon et Stéphane Corby, Le Parisien, avril 2020. [21]  Les chiffres alarmants de la pollution de l’air en Tunisie, Hortense Lac, Inkyfada, 2019 [22]  Transports actifs et santé : programme européen tapas et évaluation d’impact sanitaire à Barcelone (espagne), Audrey de Nazelle, TAPS, 2015 [23]  Pourquoi le vélo est-il favorable pour l’empreinte carbone ?, véloGalaxy, octobre 2020 [24]  La Déclaration universelle des droits de l’Homme, article 13 [25]  « Tout citoyen dispose de la liberté de choisir son lieu de résidence et de circuler à l’intérieur du territoire ainsi que du droit de le quitter. » Article 24, constitution de la république tunisienne, 2014

Références bibliographiques
Le contributeur

Manel BEN SGHAIER

Chercheuse et activiste à la Société civile. Elle a obtenu son diplôme de deuxième cycle de l’IHEC Carthage. Elle a travaillé avec plusieurs organisations locales et internationales. Elle est en fait chercheuse au Pandora Consulting spécialisé dans la gouvernance, les politiques publiques et les droits de la personne.

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