Résumé exécutif
Il existe de nombreuses théories s’intéressant au diagnostic des problèmes que connaît le secteur judiciaire en Tunisie. Ce sujet est d’ailleurs devenu le centre d’intérêt de plusieurs milieux, en particulier académiques. Face aux problématiques réelles que nous traversons récemment, tout en partant des questionnements des citoyens sur la justice en général et face à l’absence d’une information correcte et utile, il est devenu nécessaire de s’informer et de comprendre la réalité de la justice en Tunisie.
La voie vers développement du système judiciaire en Tunisie passe impérativement par un diagnostic réel et précis des problématiques et par la tentative de trouver des solutions en adéquation avec les attentes des justiciables en général et des gestionnaires du service judiciaire en particulier. Face à cette réalité, Les besoins de la recherche nous imposent la nécessité d’étudier divers axes en commençant par les problématiques structurelles du système judiciaire (axe premier) puis le flou englobants les compétences des tribunaux (second axe), ensuite les limites des tentatives de réforme (3e axe), pour finir avec les solutions alternatives aux problématiques du système judiciaire (4e axe)
Introduction
La justice est le pilier de l’état et de sa modération, comme l’a dit le penseur Abderrahmane Ibn khaldoun « la justice est le fondement de la civilisation ». Il n’y a pas de sérénité pour le peuple sans justice le protégeant et corrigeant ses erreurs, comme il n’y a pas lieu pour un état ou une institution de perdurer sans un arsenal juridique qui les protège et qui s’en porte garant, car ils se fondent principalement sur un système juridique performant fort et efficace. Ainsi, l’étude du système juridique en Tunisie nous met face à la nécessité de chercher et d’analyser les problématiques et les difficultés par lesquelles il passe étant donné la sensibilité du secteur et son intervention dans la vie du citoyen en général ou des institutions sur lesquelles se fonde l’Etat. Dès lors, l’étude de l’appareil juridique nous oblige donc à nous arrêter sur les problématiques structurelles afin de les démontrer puis d’analyser les tentatives de réforme ainsi que leur degré d’efficacité au sein du système judiciaire, en passant par l’intervention de l’appareil judiciaire et son influence sur les aspects économiques et sociaux étant donné qu’il est la première garantie de l’instauration d’un climat économique favorable incitant à l’investissement. De plus, nous ne pouvons pas parler du système juridique dans son ensemble sans passer en revue certaines solutions que nous considérons d’une importance suprême afin de remédier à la situation actuelle.
Il existe toujours une relation dialectique entre les lois et les droits et les libertés du citoyen, car l’une des questions les plus sensibles dans un état moderne tourne autour des procédures à suivre afin de préserver ces droits et libertés étant donné qu’il est possible d’utiliser le droit et les instruments de son application comme moyens d’excès de pouvoir tout comme il est possible de les utiliser pour préserver les droits et protéger les libertés. Les sociétés modernes ont été conscientes de l’importance de l’instauration des principes de la justice et de la primauté de la loi qui s’éloigne de la tyrannie et la monopolisation de la prise de décision. Dès lors, tout l’intérêt s’est porté, depuis le siècle des lumières, sur l’instauration des principes de la justice en s’éloignant de la centralisation du pouvoir dans une société, de sorte que les rôles soient partagés en se complétant. C’est ainsi qu’est apparue le principe de séparation des pouvoirs qui a été cristallisé à partir du 17e siècle jusqu’ à nos jours. C’est ce qui a permis au pouvoir judiciaire de se présenter comme l’un des pouvoirs nécessaires dans la garantie des droits et libertés des individus et de ce fait dans l’instauration de l’état de droit.
Cependant, en Tunisie la justice était individuelle, car c’est la seule catégorie connue dans l’histoire du droit musulman.
A la suite de l’indépendance, les tribunaux de Tunisie ont été unifiés et les affaires transférées au tribunal de première instance. Les magistrats officiant à l’époque ont été intégrés au droit public[1]. Malgré l’ancienneté de l’institution juridique en Tunisie, elle souffre encore de plusieurs difficultés qui l’ont tant empêchée de suivre les évolutions économiques et sociales. Certaines difficultés ont rapport avec les problématiques structurelles du système judiciaire, d’autres avec l’échec des tentatives de réforme notamment à la suite du déclin du rôle effectif du magistrat dans la création d’un cadre social équitable et juste ainsi que l’absence de solution radicale qui permettrait au système judiciaire de réaliser son objectif ultime qui est la justice[2].
Conformément à ce postulat, nous allons nous intéresser aux problématiques structurelles du système judiciaire puis aux limites des tentatives de réforme ainsi qu’au flou englobant la compétence des tribunaux avant de terminer par les solutions alternatives aux problématiques judiciaires.
Les problématiques structurelles du système judiciaire
Le système juridique vit, depuis un bon moment, sous le coup de grandes difficultés qui ont empiré après la révolution. La situation s’est compliquée au sein de différents tribunaux. L’accumulation de plusieurs facteurs a conduit à cette situation, parmi lesquels la limite des ressources humaines par rapport à l’inflation du nombre d’affaires ainsi que la limite des ressources matérielles du système judiciaire, ce qui a conduit d’une façon générale au retard dans la reddition des décisions judiciaires avec ce que cela comprend comme résultante économique négative.
La limite des ressources humaines face à l’inflation du nombre d’affaires
La gestion du système judiciaire nécessite l’intervention de plusieurs corps de métier à l’instar des juges et des greffiers sans oublier les corps auxiliaires à la justice composés d’huissiers de justice, de notaires et d’avocats. Ainsi, le nombre de juges civils a atteint à la fin de l’année 2016, 2168 juges, répartis entre 836 au premier degré, 634 au 2nd et 698 au 3e degré, qui est le plus haut degré. Quant au corps des avocats, il a connu une hausse de 1400 en 1991 pour atteindre 8000 en 2011. Malgré le nombre important de gestionnaires de l’appareil judiciaire, il souffre encore de plusieurs difficultés. Le nombre de juges n’est pas en adéquation avec le nombre d’affaires à traiter. La moyenne est de 450 affaires par juge par mois. Le nombre des affaires de droit public a atteint, entre 2017 et 2018, 2.492.217 affaires, à l’instar du tribunal foncier où le nombre d’affaires a atteint 41538. Ces chiffres reflètent la situation du système judiciaire qui est fragilisé contenu de la pénurie de juges au sein des tribunaux, la multiplicité des procédures suivies pour résoudre les différends d’un côté, les demandes de report de jugement et le fait que les justiciables tiennent à leurs demandes sans preuve, sans oublier l’héritage de l’ancien régime, où le juge était entre le marteau de la justice et l’enclume des décisions politiques représentées par le transfert arbitraire et le gel de ceux qui ne prêtent pas allégeance au système politique. Malgré le récent déclin de ces pratiques, nous en recevons toujours les échos.
La limite des ressources matérielles du système judiciaire
À l’instar des problématiques relative aux ressources humaines du système judiciaire, les problématiques matérielles, notamment celles relatives au nombre de tribunaux, représentent un nombre important des obstacles auxquels fait face le système judiciaire. Le nombre de tribunaux pour l’appareil judiciaire civil par exemple est de 28 Tribunaux de première instance où le nombre d’affaires qui y sont déposées varie chaque année. Durant l’année judiciaire 2015/ 2016 par exemple, le tribunal de première instance de Tunis (Beb Bnet) a tranché dans 2560 affaires pénales, suivi par le tribunal de Sousse qui a tranché dans 600 affaires pénales. En ce qui concerne les affaires civiles, le tribunal de première instance de Tunis a tranché dans près de 43000 affaires, contre 13000 à Sfax, le nombre chute pour atteindre 1000 à Tataouine. Les tribunaux cantonaux, sont quant à eux au nombre de 85, répartis sur tout le territoire tunisien, outre 16 cours d’appel, or la cour d’appel de Tunis se charge du plus grand nombre d’affaires. Concernant les affaires civiles par exemple, la cour d’appel de Tunis a tranché dans près de 15000 affaires, contre 5616 à Sfax et seulement 486 affaires à la cour de Sidi Bouzid[3]. Quant à l’appareil judiciaire administratif, il est représenté par un seul tribunal se trouvant à Tunis et ayant plusieurs branches dans les autres gouvernorats de la République. La composition de cet appareil a rendu les obstacles auxquels il fait face plus rude que ceux de l’appareil civil, étant donné qu’il est soumis à la dualité de juridictions dans certaines affaires comme par exemple les actions en responsabilité administrative où la phase de première instance se déroule devant le juge civil alors que la phase d’appel incombe au juge administratif malgré l’existence d’un conseil de compétence depuis 1996. L’existence de deux appareils judiciaires en même temps a pour conséquence l’existence de certaines complications fondamentales, parmi lesquelles la possibilité de rencontrer des difficultés à déterminer l’appareil judiciaire compétent. Les justiciables peuvent de bonne ou de mauvaise foi faire appel à un juge non compétent. Les tribunaux eux-mêmes peuvent se tromper dans la détermination de leur compétence et décider par erreur qu’ils sont compétents. Dès lors, nous pouvons constater que la difficulté à déterminer le juge compétent, a un rapport direct avec le droit à la justice et elle peut, en l’absence de mécanismes adéquats, lui porter atteinte de façon sérieuse[4]. Face à ces problématiques, plusieurs voix ont appelé à la nécessité de réformer le système judiciaire afin de le rendre plus adaptées aux défis actuels et futurs du pays. Mais comment est-il possible pour n’importe quel projet de réforme judiciaire de contourner ces obstacles et de représenter la voie permettant leur réforme ?
Le retard dans la reddition de la justice et son impact économique
Outre tout ce qui a précédé, le travail des magistrats influe sur le cycle économique de façon directe. La lenteur des procédures et du prononcé du jugement approprié oblige le juge à passer beaucoup de temps à étudier les dossiers comme l’a indiqué le président du syndicat des magistrats : « Les conditions de travail actuelles du système judiciaire peuvent influer négativement sur le développement économique, si le tribunal commercial prend de quatre à six ans pour trancher dans une affaire donnée, quel est l’investisseur qui s’aventurera à investir son argent ici ? » précisant que la nature du jugement dans un litige commercial est condamnée à la lenteur étant donné que le jugement ayant pour effet la disparition d’une société commerciale ou d’un fonds de commerce n’est pas chose facile, de ce fait, le magistrat doit prendre des précautions lors de la préparation du dossier d’une affaire portée devant lui avant de pouvoir trancher, compte tenu des effets directs que cela peut avoir sur la situation d’une société employant de nombreux citoyens, chose qui peut influer sur l’instabilité des échanges commerciaux[5].
Le flou englobant la compétence des tribunaux
La bonne marche du système judiciaire implique des règles d’organisation facilitant le règlement des différends, ces règles concernent l’organisation des tribunaux sur le plan territorial ou d’attribution. L’adoption de la dualité entre le droit administratif et civil a favorisé le flou englobant la question de compétence
Les problématiques relatives à la question de compétence territoriale
Malgré les dispositions du code juridique et celles des lois spécifiques relatives à l’organisation de la compétence territoriale des tribunaux, cette dernière connaît toujours une instabilité due à la multiplicité des procédures suivies résultant dans l’encombrement de certains tribunaux au détriment d’autres. La compétence territoriale est le pouvoir d’un tribunal donné à trancher dans les recours et les litiges et ce en fonction du domicile. Le législateur a organisé les dispositions relatives à la compétence territoriale au sein du titre III du code des procédures civiles et commerciales dans les articles 30 à 33. L’importance de déterminer le domicile du défendeur réside dans son utilité à définir la compétence territoriale d’un tribunal donné, c’est-à-dire que le tribunal compétent territorialement est le tribunal où se situe le domicile du défendeur, qu’il soit réel ou élu, ou le siège de la société ou de l’organisation ou le siège de ses branches si le litige les concerne.
Le plus grand problème relatif à la question de la compétence territoriale réside dans le fait que le législateur a donné la possibilité au demandeur de choisir selon les dispositions de l’article 36 du code des procédures civiles et commerciales, qui disposes que le choix est au demandeur d’user de la règle générale de l’article 30 du même code soit le siège du défendeur ou l’un des choix prévus dans l’article 36 (Et qui concernent les actions en matières contractuelle, mobilière, de dédommagement en cas de délit ou de quasi délit, de lettres de changes ou de billets à ordre et de pension alimentaire). Pour ce qui est du lieu de situation de l’immeuble, le législateur a spécifié dans l’article 38 du code de procédure civile et commerciale que le tribunal compétent territorialement est déterminé par le lieu de situation de l’immeuble.
Le législateur a également essayé, d’un autre côté, de rapprocher le tribunal compétent territorialement du litige en prenant en compte la spécificité des justiciables comme par exemple pour les actions où l’Etat est partie. L’article 32 du code de procédure civile et commerciale dispose que « les actions auxquelles l’Etat est partie à l’exception des actions relatives au régime de réparation des accidents du travail et des maladies professionnelles sont portés devant la juridiction siégeant à Tunis », ce qui a contribué à l’encombrement des tribunaux se trouvant à Tunis en comparaison avec les tribunaux de l’Intérieur, entraînant une paralysie de certains d’entre eux en raison de la hausse du nombre de recours intentés contre l’Etat particulièrement après la révolution du 14/1/2011.
Les problèmes relatifs à la compétence d’attribution
À l’instar de la compétence territoriale et aux problématiques auxquelles elle fait face qui entravent le bon fonctionnement de la justice, la compétence d’attribution n’a pas été immunisé contre ces difficultés, principalement quant à la question de la délimitation de la compétence du tribunal de première instance. Ainsi, l’article 40 du code de procédure civile et commerciale dispose que le tribunal de première instance connaît en premier ressort de toutes les actions sauf dispositions contraires expresses de la loi. En vertu de ce texte le tribunal de première instance jouit d’une compétence globale, ce qui nous renvoie à la question de la nature de l’action. Son utilité réside dans la possibilité d’utiliser le critère de la nature de l’action pour définir la compétence du tribunal de première instance. Le législateur a, d’un autre côté, choisi spécifiquement le tribunal de première instance pour trancher certaines actions, comme par exemple celles relatives à la nationalité.
cependant, la question s’est compliquée lorsqu’ il a été question de réorganiser le tribunal de première instance en plusieurs chambres et de donner une compétence d’attribution à certaines tels que les chambres commerciales ,le juge de propriété commerciale et la chambre du travail ; de ce fait il est nécessaire d’adopter cette organisation et la compétence absolue du tribunal de première instance que nous appelons compétence spécifique du tribunal de première instance avant de vérifier la compétence d’attribution. La compétence d’attribution des tribunaux malgré son importance dans la bonne marche de l’appareil judiciaire demeure tout de même l’objet de plusieurs critiques surtout par rapport aux actions non définies où le législateur a donné la possibilité aux justiciables de définir le tribunal selon les demandes avancées. Mais dans la majeure partie des cas, les justiciables ne savent pas quantifier la valeur de l’action, ce qui pousse le tribunal à nier sa compétence. De plus, la compétence absolue du tribunal de première instance en sa qualité de tribunal de droit public par excellence a contribué dans la création d’un état d’inégalité entre le nombre d’affaires et le nombre de magistrats étant donné que les tribunaux cantonaux sont moins encombrés et plus rapides pour trancher des litiges que les tribunaux de première instance. Dès lors, il nous faut réfléchir sur un ensemble de critères définissant la compétence d’attribution compte tenu des complications qu’elle connaît et qui ont contribué à la baisse du rendement de l’appareil judiciaire.
La dualité de l’appareil judiciaire
Nous pouvons affirmer aujourd’hui que la dualité judiciaire représente une partie de l’héritage juridique tunisien. La constitution du 1/6/1959 ainsi que la constitution du 27/01/2014 ont clairement consacré la dualité judiciaire. Le rapport de la commission constituante de la justice civile administrative, financière et constitutionnelle a indiqué que toutes les parties prenantes au débat étaient d’accord pour conserver le régime de dualité judiciaire. Nous pouvons définir la dualité judiciaire par l’existence d’un appareil judiciaire administratif aux côtés d’un appareil judiciaire civil, et de façon plus générale, un tribunal est créé afin de trancher dans les litiges de compétence qui pourraient résulter entre les deux appareils. Cette mission a été déléguée au conseil de compétence créé en 1996. L’une des principales difficultés résultant de la dualité judiciaire réside dans la difficulté à déterminer l’appareil judiciaire compétent. Les justiciables ainsi que les tribunaux peuvent se tromper dans la définition de l’autorité compétente. De ce fait, la dualité judiciaire peu compliquer l’application ou l’expression du droit d’ester en justice, considérant qu’il est toujours possible pour l’appareil judiciaire chargé de se déclarer incompétent, cela peut entrainer des coûts importants en termes de dépenses et de temps perdu.
De même, il faut revoir la compétence du conseil des conflits de compétence et ce par l’intervention du législateur afin de déterminer les différentes situations de conflit de compétence ou de difficulté de compétence et les procédures qui lui sont relatives. Il est aussi judicieux de réfléchir à élargir le domaine de compétence du conseil de compétence afin qu’il englobe tous les degrés de juridiction lui appartenant tant que cela ne vient pas contredire l’intérêt de la bonne marche de la justice. Il est tout aussi judicieux de permettre au justiciable d’intenter un recours auprès du conseil à chaque fois que le tribunal n’y a pas recours. Cependant, une telle démarche implique une réforme de la structure du conseil des conflits de compétence ainsi que des moyens mis à sa disposition et les principes gouvernant les procédures à suivre devant lui.
Les limites des tentatives de réforme
Les théories relatives à la réforme du système judiciaire se sont succédé et les avis ont divergé par rapport au diagnostic de la réalité de la justice et la raison de son déclin, certains renvoient cela à la dépendance de l’appareil judiciaire, d’autres appellent à des réformes structurelles sans critiquer les magistrats.
Lors d’une première tentative de réforme à la suite des débats au sein de l’Assemblée nationale constituante qui considérait le pouvoir judiciaire parmi ses priorités, l’association des magistrats a appelé à l’adoption d’urgence de la loi organique relative à la création de l’instance provisoire représentant les juges ainsi que des lois relatives au conseil supérieur provisoire de la justice administrative et financière.
Cette association, représentant l’organe regroupant le plus grand nombre de magistrats en Tunisie, a exhorté l’Assemblée nationale constituante à convenir d’un cadre de concertations convenable avec les mzgistrats pour la conception de la situation constitutionnelle législative du pouvoir judiciaire ainsi que la délimitation de ses mécanismes conformément aux dispositions de la loi organique relative à la réglementation provisoire des pouvoirs publics. Les magistrats ont annoncé dans une tribune publique publiée, à la suite de la réunion de leur conseil d’administration, le maintien de leur demande de les faire participer aux travaux des commissions constituantes de l’Assemblée nationale constituante afin de présenter leurs propositions relatives à la rédaction des lois organisant le pouvoir judiciaire. Mais malgré sa formulation, cette demande demeure peu convaincante en comparaison avec la demande ô combien importante de l’indépendance de la justice qui est attaquée de temps à autre.
La dernière période a connu la décision gouvernementale ayant pour but de mettre le service judiciaire sous la tutelle du ministère de la justice, chose qui a irrité l’association tunisienne des magistrats ainsi que le syndicat des magistrats. Ces derniers ont précisé que cette décision est une atteinte à la constitution et aux principes de l’indépendance de la justice ainsi qu’à l’état de droit, que la parution de tels décrets ne sert pas à organiser le travail judiciaire, que le décret-loi numéro 208 du 2/05/2020 est une tentative de vol de compétences et que le gouvernement veut par cela contrôler la justice et la remettre sous la coupelle du pouvoir exécutif, ce qui est considéré comme un dépassement inacceptable[6]. Les tentatives de réforme ont aussi pris d’autres formes tels que l’organisation de conférences et d’ateliers de formation, le tribunal administratif a par exemple discuté le projet de plan stratégique du tribunal administratif pour la période allant de 2020 à 2024, mais ses conclusions demeurent l’objet de consultations sans qu’aucune décision ne soit prise à leur sujet.
L’indépendance de la justice n’a pas besoin d’un arsenal juridique précis pour la garantir autant qu’elle a besoin de la volonté politique pour la sortir du cercle des tractations politiques. Les tentatives de réforme que connaît le système judiciaire demeurent sans intérêt étant donné les divergences de point de vue qui ne contribuent pas à la réforme globale et efficace. Il est aussi utile de préciser que malgré les tentatives de réforme et de garantie de l’indépendance de la justice ainsi que la contribution dans la formation ou la création d’une opinion publique favorable à l’état de droit, l’évaluation des faits demeure subjective étant donné que la justice n’équivaut pas seulement au magistrat mais il s’agit d’un système complémentaire enraciné et englobant plusieurs métiers judiciaires et juridiques ayant pour effet d’impacter la justice en tant que tout. Ce système englobe mis à part les magistrats : les avocats, les huissiers de justice, les fonctionnaires administratifs, les experts, les greffes, les conseils fiscaux, les conseillers rapporteurs auprès du service du contentieux de l’état et autres.
Les solutions alternatives aux problématiques du système judiciaire
La voie de la réforme du système judiciaire passe inexorablement par les avis et les décisions des experts en la matière étant donné la connaissance qu’ils ont des problématiques et des difficultés qui ont impacté le bon déroulement de l’appareil judiciaire. De ce fait l’ensemble des solutions proposées expriment les positions des magistrats et les autres intervenants du système judiciaire. la constitution de 2014, même si elle a constitué un virage déterminant dans l’histoire de la justice tunisienne consacrant le principe de l’indépendance du pouvoir judiciaire par le biais de la réforme structurelle fonctionnelle du conseil supérieur de la magistrature dont la mise en place est considérée comme l’une des plus importantes réalisation de la révolution, La réforme de la justice et la garantie de son indépendance sont considérées comme deux conditions nécessaires à la garantie de la pratique démocratique d’un état qui respecte l’autorité de la loi. De ce fait il est nécessaire de proposer les bases à même de mener cette réforme complète que nous pouvons résumer en trois fondements.
Finaliser la base légale de l’appareil judiciaire administratif
Il est nécessaire, dans ce cadre, de développer l’organisation de la justice administrative en révisant la loi relative au tribunal administratif ainsi que le statut des magistrats administratifs, à la lumière de la nouvelle constitution de la République tunisienne qui a restructuré le pouvoir judiciaire. L’article 116 de la Constitution relatif à la justice administrative a disposé que cette dernière était composée du tribunal administratif suprême et des tribunaux administratifs d’appel ainsi que des tribunaux administratifs de première instance, ce qui suppose l’adoption d’une carte judiciaire de compétence territoriale en adéquation avec l’expansion urbaine et démographique ainsi que l’organisation administrative en prenant soin d’adopter des critères clairs afin de définir la compétence territoriale[7].
La formation continue et le développement des ressources humaines par le biais de la gestion du parcours professionnel des magistrats
le parcours professionnel du magistrat commence dès son recrutement jusqu’ à sa retraite, le niveau de formation diffère selon le degré et l’institution à laquelle il appartient, ce qui impose la nécessité de mettre des critères objectifs transparents équitables entre tous les magistrats, qu’ils soient chargés de la gestion de l’appareil judiciaire ou qu’ils soient affectés auprès des consulats tunisiens, en prenant en considération l’importance de la compétence et la capacité à l’exercice de diverses spécialités judiciaires. De ce fait, l’institut supérieur de la magistrature a exigé des moyens à même d’assurer une formation continue de mise à niveau des magistrats ainsi que le développement de leurs compétences humaines.
Cela impose la mise en place d’un seuil minimal de critères devant se réunir chez un candidat à la fonction de magistrat et la garantie d’une bonne formation tant sur l’aspect scientifique que pratique, ce qui en soi demande une révision continue du système de recrutement. Cela comprend également la possibilité de permettre au magistrat de développer sa culture juridique par la participation aux conférences et aux formations spécifiques afin de discuter des changements juridiques, des législations nouvelles et des difficultés que le travail entraîne dans l’application et la garantie des compétences humaines reposant principalement sur les magistrats et leurs assistants. Le magistrat doit être d’une grande compétence et ne doit pas se suffire de la formation universitaire. Il est nécessaire qu’il continue sa formation, qu’il soit au fait de l’évolution législative mondiale et qu’il soit ouvert sur le monde extérieur, dans le domaine économique par exemple le magistrat doit être au fait des questions relatives à l’aspect financier mais aussi de la législation, du commerce international, de l’économie, de la comptabilité et des affaires sociales.
Le renforcement de l’aspect humain et matériel de l’appareil judiciaire
Ce renforcement passe nécessairement par la garantie d’un salaire suffisant au magistrat pour l’immuniser contre toute forme pouvant affaiblir sa position et lui garantissant l’exercice de ses fonctions loin des tentations financières en plus de la nécessité d’améliorer les conditions de travail par la fourniture de bureaux, de matériel et d’appareils nécessaires. Il est également nécessaire de revoir le statut des magistrats en promulguant une nouvelle loi organique réglementant la fonction, adaptée à l’époque et à ses défis actuels remplaçant par ce fait l’ancienne législation qui remonte aux années 60 du siècle précédent, protégeant la justice de toute dérive politique ou sociale et accélérant la fourniture matérielle de l’appareil judiciaire afin de l’aider à mener à bien sa fonction.
Recommandations
- La nécessité d’ouvrir un débat global et sérieux entre les intervenants (le Conseil supérieur de la magistrature, les instances représentatives des auxiliaires de la justice et la cour constitutionnelle lorsqu’elle sera instaurée ou l’instance provisoire de contrôle de la constitutionnalité des projets de loi…) dans le but de mettre en place une feuille de route claire pour la réforme du système judiciaire-Œuvrer pour garantir le principe de l’indépendance du système judiciaire en révisant le statut des magistrats.
- L’assemblée des représentants du peuple devrait accélérer la promulgation de lois organiques concernant les fonctions intervenant dans le système judiciaire tels que les notaires et les huissiers de justice.
- Le Conseil supérieur de la magistrature devrait veiller à compléter la construction de l’appareil judiciaire administratif et en finir avec le régime de dualité des compétences.
[1] ite Web du ministère tunisien de la Justice, aperçu historique, disponible sur:https://bit.ly/2L8RxM5(consulté le 7 décembre 2020, 09h30) [2] Histoire de la justice en Tunisie, L’Encyclopédie tunisienne ouverte, Disponible sur: https://bit.ly/37KxgUK(Consulté le 7 décembre 2020 à 09:31) [3] Observatoire en ligne du secteur de la sécurité,27 septembre 2018, disponible sur: https://bit.ly/2Ikionq(consulté le 7 décembre 2020, 09:47) [4] Democracy Reporting International Rapport : Compétence de la juridiction administrative en Tunisie: Accès à la justice, 2018, https://democracy-reporting.org/wp-content/uploads/2018/03/DRI-TN-Rapport-La-comp%C3%A9tence-de-la-juridiction-administrative-en-Tunisie-%C3%A0-l%C3%A9preuve-du-droit-dacc%C3%A9s-%C3%A0-la-justice_AR.pdf(consulté le 7 décembre 2020 (09:48) [5] Najwa Al-Sayeh, «L’impact du système judiciaire sur l’affaire économique: les réformes nécessaires pour une justice moteur du développement “,Publié dans: Al-Khabeer Newspaper, 14 janvier 2016, http://lexpertjournal.net/?p=3969(consulté le 7 décembre 2020, 09:54) [6] Basma Barakat, «Controverse entre la magistrature et le gouvernement tunisien: préoccupations concernant l’indépendance des institutions», publié dans: Al-Araby Al-Jadeed, 8 mai 2020 https://bit.ly/37Fmr6C (consulté le 7 décembre 2020, 09:59) [7] https://legal-agenda.com